Quand chercher la perfection diminue la créativité
Cet article est la retranscription de l’épisode 7 du Podcast « Parfaitement imparfaits ».
Les pensées contre-créatives des perfectionnistes
‘’Je ne suis pas créatif. créative’’ est certainement l’une des phrases que j’ai le plus entendu en coaching. Je l’ai moi-même prononcé et pensé pendant plusieurs années après de malheureux cours de dessin avortés.
Le perfectionnisme lié à nos expériences
Au début de mon adolescence, mes parents trouvaient que je me débrouillais bien, ils m’ont donc proposé de m’inscrire à des cours de dessin. Mais, ma joie et ma spontanéité se sont vite envolés. En cours, je ne devais plus dessiner ce que j’avais envie sur le moment, je devais suivre une thématique et un cadre précis qui me donnait l’impression de perdre toute créativité et la sensation d’être nulle en dessin. Et je me comparais en permanence à mes camarades que je trouvais beaucoup plus doués.
Peu à peu, j’allais en cours avec la boule au ventre jusqu’au jour où j’ai été incapable de dessiner quoi que ce soit. Devant ma feuille blanche, je n’ai ressenti que honte et désarroi. J’ai abandonné les cours de dessin et n’ai plus dessiné, si ce n’est des dessins en forme de bâton lors de soirées jeux de société.
Le perfectionnisme lié à nos croyances
Dans le même ordre d’idées, certains de mes clients sont incapables de montrer leurs créations, de revoir ou de relire leurs créations une fois qu’ils les ont achevés, sans trouver le résultat laid, décevant, ridicule… D’autres ont beaucoup de mal à accepter les compliments sur leur capacité créative, pensent que leurs proches manquent d’objectivité par amour pour eux.
Vous-même vous considérez-vous comme quelqu’un de créatif ? Si vous avez répondu non à cette question, qu’est-ce qui vous le fait penser ?
Qu'est-ce que la créativité et quelles formes prend-elle ?
La créativité est un véritable problème pour les perfectionnistes, qui veulent aboutir au résultat parfait et immédiat. Le perfectionnisme peut tuer la pensée créative et par ricochet, la productivité.
Une définition incertaine
Les définitions de la créativité sont très nombreuses, et parfois contradictoires. Un livre en anglais en liste 101 !
Selon le professeur en psychologie Todd Lubart, la créativité est ‘’la capacité à produire une idée à la fois nouvelle et adaptée au contexte dans lequel elle se manifeste’’.
Elle ne résume pas à savoir très bien dessiner ou à composer une œuvre musicale magistrale. La créativité se présente sous de nombreuses formes, mots, supports.
4 formes de créativité
Selon le chercheur en neurosciences, Arne Dietrich, il existe 4 formes de créativité :
- la créativité cognitive délibérée : à force d’expériences et d’essais, une personne finit par développer une idée, une réponse.
- la créativité émotionnelle délibérée : la personne développe une attitude créative lorsqu’elle est confrontée à une situation émotionnellement difficile qui la pousse à réagir, à s’adapter rapidement.
- la créativité cognitive spontanée : c’est la sorte d’illumination qui traverse soudainement une personne qui se laisser aller en marchant, lisant, faisant du vélo… Cette créativité repose sur des connaissances que la personne avait déjà.
- la créativité émotionnelle spontanée : la personne crée subitement à partir d’une émotion, comme un musicien.
La créativité n'a rien à voir avec le talent
Vous l’avez compris, la créativité n’a rien à voir avec le talent. Tout le monde est créatif, peut créer sur n’importe quel sujet, à n’importe quel moment, y compris les perfectionnistes. En réalité, nous créons tous dans notre quotidien, sans nous en rendre forcément compte, par exemple, en cuisinant, en écrivant, en chantant…
Réfléchissez à au moins 5 choses que vous avez créées cette semaine ? Quelles sont-elles ? Comment vos idées sont-elles apparues ?
Créer un environnement propice à la créativité
Quand on observe le processus créatif, c’est-à-dire la succession de pensées et d’actions qui conduisent à une production originale et adaptée, on s’aperçoit qu’il part du vide. Pensez-vous que vos idées vous viennent quand votre esprit est encombré par une to do list de 8 pages ou lorsque vous ne faites rien de particulier ?
Un espace libre de peurs
Pour accueillir de nouvelles pensées, il faut avoir de la place et donc se dégager du temps, alléger sa charge mentale et son planning, noter éventuellement toutes les pensées qui nous omnibulent, abandonner ou déléguer des tâches non essentielles, se laisser aller à rêvasser et à s’ennuyer. La créativité a besoin d’espace libre et d’enthousiasme.
Pour Elisabeth Gilbert, perfectionnisme et procrastination étouffent le feu créatif. Dans son livre Comme par magie. Vivre sa créativité sans la craindre, elle liste nos peurs créatives : peur de ne pas avoir de talent, peur de ne pas trouver le marché pour ce que l’on veut créer, peur que quelqu’un l’ait déjà fait mieux que nous, peur qu’on nous pique nos idées, peur de ne pas être pris au sérieux, peur que notre travail ne soit pas suffisamment politique, émouvant ou artistique, ou qu’il ne change la vie de personne, etc. Quelles que soient nos peurs, nous priver de la créativité revient, en fait, à nous empêcher d’expérimenter, d’apprendre, de nous améliorer.
L'obsession du résultat final
Quand nous créons, nous avons parfois une vision complète ou partielle de ce que nous aimerions réaliser, nous faisons des plans, des calculs, des optimisations… Et, lorsque nous sommes confrontés à sa matérialisation dans la vie réelle, nous pouvons être déçus du résultat. C’est particulièrement le cas pour les perfectionnistes, comme lorsque mon fils n’arrive pas à reproduire précisément ses figurines, quand un écrivain reste bloqué à son premier chapitre ou quand un musicien ne partage pas son nouveau morceau car ‘’ils n’ont pas tout à fait fini’’.
L’obsession du résultat final est un véritable frein à la liberté créative ! Au lieu de se laisser porter par le processus créatif, les perfectionnistes vont avoir tendance à tout préparer, baliser. Ils vont tout planifier, se surinformer sur un sujet, vouloir se procurer le matériel parfait… et totalement bloquer leur créativité. À ce titre, l’écrivaine Anne Lamott explique que “Le perfectionnisme est une forme vicieuse et froide de l’idéalisme, alors que le désordre est le véritable allié de l’artiste.”
L'intérêt de l'échec
Je dirais même désordre et « échec ». Contrairement aux idées reçues, l’échec peut justement permettre de développer créativité et adaptation. Dans le cadre d’un projet, un échec, de simples erreurs nous poussent soit à trouver des axes d’amélioration, de nouvelles idées, à changer de perspective, soit à arrêter ledit projet.
Alors, posez-vous quelques minutes et demandez-vous ce que vous créeriez si vous n’aviez pas peur d’échouer, d’être jugé.e…
Les effets du perfectionnisme sur la créativité
Des recherches en psychologie confirment les effets du perfectionnisme sur la créativité. Elles suggèrent que pour améliorer sa créativité, il vaut mieux viser, encore une fois, l’excellence plutôt que la perfection. Selon les chercheurs, « la recherche d’objectifs élevés et personnellement significatifs est une partie importante du processus de création. Cependant, les individus doivent faire attention à ne pas poursuivre de manière rigide des objectifs, ce qui laisse peu de place pour explorer les possibilités et s’exprimer ».
Comment développer ou retrouver sa créativité lorsqu'on est perfectionniste ?
Plusieurs raisons expliquent en quoi le perfectionnisme peut bloquer la créativité. D’abord, les perfectionnistes peuvent être trop motivés pour trouver des solutions rapides et parfaites, les obligeant à se concentrer sur les stratégies traditionnelles et à éviter les nouvelles et incertaines. Ensuite, les perfectionnistes peuvent être empêchés d’atteindre un flux créatif s’ils sont trop analytiques et critiques de leurs performances. De même, des doutes excessifs sur leurs actions peuvent affecter leur engagement cognitif et leur concentration.
Utiliser la méthode des six chapeaux
Par exemple, en utilisant, collectivement ou individuellement, la méthode des six chapeaux d’Edward de Bono. L’idée est d’aborder et résoudre une problématique en prenant tour à tour différents « chapeaux » d’une couleur particulière afin d’endosser des modes de pensée différents.
Ainsi, le chapeau blanc représente la neutralité : dans votre situation, quels sont les faits ? Le chapeau rouge représente les émotions, les sentiments associés à la situation : dans votre situation, que ressentez-vous ? Le chapeau vert représente la créativité sans censure : Quelles sont les solutions possibles, y compris les plus farfelues ? Le chapeau jaune représente l’optimisme, la critique positive : Pour chacune de ces solutions, que pouvez-vous mettre en œuvre ? Le chapeau noir représente les objections, l’anticipation des dangers et des risques : Pour chacune des solutions, quels sont les risques, les avantages et inconvénients ? Le chapeau bleu représente l’organisation, la globalité : en prenant tout cela en compte, quelle est la solution à retenir ? Comment pouvez-vous organiser sa mise en œuvre ?
Lâcher-prise et s'amuser
Pour développer votre créativité, vous pouvez également stimuler quotidiennement votre curiosité, apprendre de nouvelles choses, regarder les choses d’un autre point de vue, inventer un nouvel objet à partir de 2 autres objets existants dans votre environnement immédiat, pratiquer des activités manuelles, jouer à des jeux de société où l’on invente des histoires et où l’on improvise, vous mettre au sketchnoting. Bref, ne cherchez à être créatif, amusez-vous comme un enfant !
Arrêter de se comparer
Le problème des perfectionnistes qui sont bloqués dans leur créativité, est souvent également, je l’ai dit en introduction, la comparaison. Le problème avec la comparaison c’est qu’on oublie que derrière la perfection apparente des personnes qu’on admire ou qu’on idolâtre, il y a souvent un gros travail, des loupés et des réajustements qui font entièrement parties du processus créatif.
Être créatif c’est justement se libérer de toute réflexion, imagination. C’est être spontané, dans le moment présent. Autorisez-vous à dessiner les yeux fermés, de votre autre main ou sans but !
Conclusion
Pour résumer cet épisode, voici les 3 points clés à retenir pour sortir du perfectionnisme et s’autoriser à créer : 1) laisser place au vide et à l’instant présent ; 2) comprendre que la créativité est partout ; 3) abandonner les attentes irréalistes et les comparaisons.
Je vous laisse réfléchir à l’histoire d’un grand artiste chinois à qui l’empereur a demandé de réaliser une encre. L’artiste s’est exécuté et l’a terminé en dix minutes. L’empereur s’est insurgé : ‘’comment un travail réalisé aussi rapidement peut-il valoir une telle fortune ?’’. L’artiste lui aurait répondu : ‘’parce qu’il m’a fallu quarante ans pour arriver à ce résultat.’’
Dans le prochain épisode, nous parlerons perfectionnisme et entreprenariat.